« Putain Jean, j’ai jamais voulu ça... » Des larmes sur un visage d’ange. Pourtant rien y change. « J’en ai rien à foutre Appoline . Fallait y penser avant. Avant qu’on couche ensemble, avant que tu me caches ça! » Un ventre arrondi. Magnifique. Et pourtant détesté. « Mais.. Mais Jean, t’as pas l’droit de me faire ça. T’as pas le droit?! Et le bébé. T’y a pensé d’ailleurs. T’y a pensé à notre gosse?! » Les cris de la jeune fille étaient vains. L’adolescent était déjà parti, loin d’ici et de cette vie qu’il refusait. Elle l’avait appris quatre mois auparavant. Elle aussi l’avait détesté. Sur le moment elle avait voulu tout arrêter. Mais elle n’avait pas pû. La peur de la douleur prétextait-elle. Au fond ce n’était pas ça. C’était l’amour que lui procurait ce futur petit être. Elle n’avait peut être que dix-sept ans mais elle se sentait prête à l’assumer. A l’élever. A l’aimer. Surtout l’aimer. Car si Jean n’assumait pas, cet enfant en aurait besoin de deux fois plus.

Appoline Perec accoucha le vingt-trois mai, de cet enfant très attendu. Un garçon. Un beau petit garçon qu'elle prénomma Hadrien Alban Perec. Seule. Ou pas tout à fait. Ses parents, de riches personnes, sur les bords révolutionnaires, l'avait soutenu. Et puis Jean, malgré qu'il ne veuille pas de cet enfant, « voulait peut être le reconnaître. » Mais la joie que cette nouvelle aurait du lui apporter n'arriva jamais. Car elle -seule- avait comprit que le mot le plus important de cette phrase n'était pas reconnaître mais bien "peut-être". Elle était à présent sur que Jean ne le ferais pas. Le pire dans tout ça n'était pas sa peine, cette douloureuse déception. Le pire s'était pour son fils. La peine que lui même aura, la sensation de rejet que ce connard de Jean Delacroix lui ferait ressentir à cause d'un fichu égoïsme. Après tout s'était de sa faute si elle était enceinte à dix-sept ans. Il aurait du mettre un préservatif. Gérer le truc. Mais il en avait été incapable. Le père de Hadrien était qu'un simple incapable. Et elle savait que son fils, lui, serait quelqu'un de bien. Elle en était persuadée.

« Grandis un peu Hadrien. » S'en était trop. Le jeune homme se retourna. « C'est toi qui m'dis ça. Redescend un peu de ta planète mon gars. Ma mère t'aime bien en ce moment mais tu verras, d'ici trois semaine-un mois elle se lassera. Je suis le seul homme de sa vie. Faut t'y faire... » Hadrien, quinze ans, avait raison. Depuis qu'il était né, sa mère n'avait jamais eu de petit ami officiel et sédentaire. Que des hommes de passage, se leurrant sur la nature de la sublime Appoline. « Et de toi à moi, ici, ce n'est pas moi l'enfant » Sur ces mots, Hadrien quitta la pièce. Ces petits-amis ne l'avaient jamais appréciés. Sans doute parce qu'il était le seul à se rendre bien compte de la réalité. Ou qu'il était plus intelligent que la moyenne. Ou encore car, comme il le disait, il était le seul homme que sa mère aimerait toujours. Il ne pensa pas plus à ça et partit de la maison. Sans but réel. Mais ce que Hadrien ignorait c'est qu'au même moment, Appoline rencontra Philippe, un homme riche et charmant. L'homme parfait en sorte pour sa mère. L'homme qui allait tout faire basculer.

Les notes s'égrenaient une à une, avec souplesse, comme si elle provenait d'un CD. Mais le son était plus clair, plus pure, plus réel. Penché sur le piano, Hadrien jouait Barcarolle de Tchaikovsky, seul sur la scène. Il n'avait pas peur. Ni de rater ni quoi que se soit d'autre. Il avait confiance et croyait au destin. Une fois le morceau finit, il enchaîna sur clair de lune de Debussy, un des morceau préféré de sa mère. Il le connaissait par coeur. Il aurait pu le jouer les yeux fermés. Mais aujourd'hui était un jour important, d'où sa concentration. L'audition, ouverte au public pouvait tout changer. Il devait donc être le meilleur. Dans la salle, sa mère était présente, il ne le savait pas. Mais ce qu'il ignorait encore plus, c'est que l'homme assit à ses côté n'était pas simplement un ami ou un spectateur. C'était celui qui allait habiter présent, au quotidien chez eux. A l'instar de Hadrien, Appoline n'était pas non plus au courant que Jean, au fond de l'immense salle, écoutait son fils, les larmes yeux. Cet homme là, avait fait la plus grosse erreur de sa vie quinze ans plus tôt. Son fils. Hadrien. Ce n'était pas la première fois qu'il le voyait. Il avait même réussit à récupérer des photos de celui-ci. Mais ils ne s'étaient jamais parlé. Appoline avait pourtant essayé mais Hadrien avait toujours refusé. Jean avait fait le choix de l'abandonné. Très bien mais qu'il ne revienne pas sur sa décision plus tard, pensait Hadrien. Et pourtant, au fond, son père lui avait manqué. Ou du moins une vraie présence masculine tous les jours. Et ce n'était pas parce que sa mère allait lui annoncer qu'elle et Philippe se mariait qu'Hadrien deviendrait heureux. C'était trop tard maintenant. L'arrivée de Philippe ne réparerait rien. Bien au contraire.